La Grande Guerre contée au féminin

Publié sur 6min. de lecture

La Grande Guerre, vous la connaissez tous. Vous avez appris son déroulement à l’école, vous avez entendu parler des tranchées, de Verdun, des taxis, des hommes brisés, des gueules cassées, des tickets de rationnement, des femmes qui travaillaient à l’arrière et pleuraient leurs maris. Ce sont ces dernières qui vont nous intéresser dans cet article au travers de deux livres, Mauvais genre de Chloé Cruchaudet et Là où tombent les anges de Charlottes Bousquet.

Mauvais genre de Chloé Cruchaudet, Editions Delcourt

La transition de Paul

 

Cette bande-dessinée raconte l’histoire de Paul et Louise, deux jeunes amoureux qui se sont rencontrés au bal. Ils se marient peu de temps avant que Paul parte pour faire son service militaire mais son absence est prolongée par le déclenchement de la guerre. Il est alors envoyé au front où, malgré son rôle de caporal, il peine à supporter la dureté des combats. Il se blesse alors volontairement pour être retiré du front, dans un hôpital de guerre où il fait de son mieux pour ne pas guérir et rester le plus possible à l’arrière. Alors qu’on le menace d’être renvoyé de force au champ de bataille il décide de déserter et rejoint une chambre d’hôtel payée par Louise. N’en pouvant plus de rester enfermé et ce même après que la guerre soit terminée, il décide de se travestir en femme pour sortir en attendant l’amnistie des déserteurs. Il, devenu Elle, Suzanne, découvre alors peu à peu comment se comporter en femme et y prend alors de plus en plus goût.

A travers cette histoire, nous vivons avec Paul la difficulté de faire face à une guerre insensée, de perte de foi en la patrie et en soi-même. Alors que le gouvernement pousse les hommes, les vrais, les guerriers, à combattre toujours plus fort, la réalité est à l’usure, à la destruction et cet enfer continue hors des combats tant le traumatisme est grand. Changer d’identité n’arrange d’ailleurs rien pour Paul qui reste assailli par de terribles cauchemars et crises d’angoisse. Cette transition est aussi l’occasion d’aborder les questions de genre à un moment où, justement, la virilité est remise en question et change de forme. La Première Guerre Mondiale met un grand coup à l’image du guerrier et du héros, détruite par une guerre sans fin(s). Mais la féminité est aussi abordée lors de l’apprentissage de Paul guidé par Louise qui lui dévoile les attitudes à prendre lorsqu’on est une femme.

La couverture donne un parfait aperçu du contenu de la bande-dessinée : un dessin relativement simple mais réaliste, en nuances de gris accompagnées de touches de rouge. Plus tard on trouvera quelques autres rares apparitions de bleu et de jaune dans les uniformes de soldats mais le dessin reste globalement sombre. Il est aussi assez simple, les décors sont peu détaillés, seuls les éléments importants qui permettent l’identification des espaces sont représentés. L’important ce sont les personnages, leur corps et leurs expressions. Bien que simple, le dessin est très expressif, parfois très cru, surtout dans les moments de combat ou de cauchemars où le dessin est très sombre.

Avant toute chose, ce livre est beau. Parfois dures, parfois palpitantes de sensualité, les pages titilleront vos émotions avec adresse. Mention spéciale aux pleines pages qui sont merveilleuses. L’histoire elle aussi est très belle et très intéressante. Bien qu’il soit parfois difficile d’encaisser le machisme ambiant celui-ci n’est que retranscrit avec une proximité certaine avec la réalité de l’époque. L’interrogation autour de la virilité et de la féminité est très intéressante notamment lorsque Louise donne des conseils à Paul/Suzanne et que cellui-ci se retrouve décontenancé-e face à tant de contraintes et de difficultés. On se rend aussi très bien compte d’à quel point la féminité, bien qu’exhalée dans les magazines ou les spectacles est vue comme quelque chose de dégradant, de sale et ridicule alors même que la virilité est mise à mal.

Là où tombent les anges de Charlotte Bousquet, Editions Gulf Stream

Là où tombent les anges Charlotte Bousquet

 

Dans ce roman, vous suivrez l’histoire de Solange, une jeune femme de 17 ans qui quitte son père violent et sa province pour rejoindre son amie Lili à la capitale pendant l’été 1912. Elle s’y façonne une nouvelle vie, travaille comme couturière, fréquente les bals où elle rencontre Roger qui devient son mari. Cet homme plein de bonnes intentions n’est en réalité qu’un bourgeois possessif qui ne trouve en son épouse qu’un bel objet à exposer en dîners mondains et une nourrice docile pour sa vieille tante Emma que la jeune femme ne supporte pas (et réciproquement). Seulement, quand la guerre éclate, les femmes restent seules à l’arrière et doivent apprendre à vivre ensemble et à être solidaires. Elles découvrent aussi une liberté nouvelle grâce à leur travail mais aussi grâce à la possibilité d’agir simplement par elles-mêmes et pour elles-mêmes.

Les chapitres du roman suivent un ordre chronologique signalé en titre de chacun d’eux, par le mois ou la saison, ainsi que l’année où on se situe. Aussi les chapitres débutent-ils par des extraits de la presse de l’époque avec des morceaux de faits-divers, de nouvelles plus importantes, de paroles d’artistes… Le roman est aussi parfois entrecoupé de lettres des personnages ou de passages du journal intime de Solange. Le récit, bien qu’écrit à la troisième personne, se concentre sur ce personnage dont nous suivons l’évolution au travers de cette période difficile. Pour ceux qui se souviennent de leurs cours de français, on peut dire qu’il s’agit d’un roman d’apprentissage.

Là où tombent les anges se démarque par sa diversité entre différentes formes d’écriture, épistolaire, journalistique, intime… Tous ces styles donnent une belle dynamique au roman dont la lecture est pleine de découverte. Ce qui nous intéresse particulièrement dans cet article et ce qui fait selon moi, l’intérêt majeur du roman, c’est le récit qu’il nous présente de la vie des femmes et uniquement des femmes. Comme dit en introduction, quand on parle des femmes pendant la Grande Guerre on s’intéresse surtout à leur travail dans les usines pour remplacer les hommes et à leur difficulté à tenir leur foyer sans forcément aller plus loin. Cela peut paraître perturbant de voir en la guerre un événement qui a permis aux femmes de se sentir libres et épanouies et cela l’était à ce moment-là, notamment pour les hommes qui ne comprenaient pas cette sorte d’ingratitude de la part de leurs épouses, sœurs ou mères qui ne comprenaient pas leurs difficultés à eux. Aussi, grâce à la diversité des personnages, de leur caractère, de leur histoire et de leur âge, nous pouvons avoir un aperçu assez global des différents vécus.

Ces deux livres parfois assez durs, abordent des sujets très voisins de manière cependant bien différente et en s’attardant chacun sur des aspects différents de la question du genre pendant des périodes équivalentes et toutes deux marquées par la Grande Guerre. Tandis que Mauvais genre s’attarde surtout sur la question du genre en soi, ça tombe bien, Là où tombent les anges se concentre plus sur les femmes en tant qu’individus et en tant que groupe et leur opposition avec les hommes en tant qu’… vous avez compris. A propos de cette opposition notamment sur la rancœur des hommes envers les femmes peu compréhensive je vous conseille le film J’accuse d’Abel Gance tourné pendant la guerre et sorti en 1919. C’est un film muet qui a pas mal vieilli donc assez éloigné de ce dont on a l’habitude mais pour l’avoir étudié en détail je vous assure qu’il vaut le coup d’œil !

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Encore une fois je vous ai proposé un voyage dans le passé au féminin et vous invite à vous interroger sur le genre d’antan mais aussi d’aujourd’hui… Bonne lecture !

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2 Commentaires
  • Jade
    21 juin 2016

    Je t’avoue que personnellement, ce n’est pas une période que je connais très bien. En Suisse, on en parle pas tant que ça. Ca nous a moins marqué et ceux qui l’ont vécu de loin ne sont plus là pour nous en parler. Là, c’est très intéressant et ça me donne envie de les lire. J’ai cette BD à la bibliothèque, en plus ! Merci 🙂

    • Sophie
      22 juin 2016

      Ah bah oui .. Et puis en tant que française francophone j’ai tendance à oublier qu’il y a d’autres francophones que les français ^^
      Je ne peux que te conseiller de foncer 😉 !

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